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APPROCHES SPIRITUELLES DU SUICIDE

 

ou

 

Comment le Christ Jésus rejoint-il les personnes mettant fin à leurs jours ?

Comment le Christ Jésus rejoint-il leurs proches ?

 

(Conférence donnée par P. Eric Jacquinet, à Lyon, en novembre 2007)

Introduction

Il est difficile de parler de la présence de Dieu dans ces situations.

D’abord parce que ces situations sont très diverses. Il y a la diversité des personnes ayant mis fin à leur jours : suicide d’adolescents, suicide de jeunes, suicide d’adultes, suicide de personnes âgées, suicide de personnes malades, suicide de personnes ayant des fragilités psychologiques repérées, suicide de personnes ne présentant pas de fragilité psychologique manifestée,  suicide de personnes en instance de jugement ou en prison, suicide de hauts responsables de la société, etc.

Quant aux proches, ils sont très divers aussi : parents, enfants, époux ou fiancé ou compagnon, frères et sœurs, employeurs, collègues de travail, voisins d’immeuble ou de quartier, médecins, psychologues, etc.

Les chemins spirituels des uns et des autres sont très divers, en fonction de leur situation,  mais aussi de leur histoire et de leur originalité personnelle.

Le sujet est difficile aussi, parce qu’il s’agit d’une expérience spirituelle, difficile à identifier et à restituer.

Il est difficile enfin d’en parler, car nous savons que certains auditeurs, blessés par des situations vécues, sont en pleine crise ou révolte. Ce que nous devons respecter infiniment. Pour beaucoup qui ont traversé l’épreuve de perdre un proche par suicide, y compris de grands croyants, l’expérience spirituelle peut être celle d’un grand vide. Dans ces moments-là, où Dieu est-il ?

D’ailleurs, comme chrétiens, notre foi ne porte pas tant sur la question de Dieu que sur la présence du Christ Jésus. Nous posons l’acte de foi que le Christ veut être présent à toutes ces situations. Rien de l’expérience humaine ne lui échappe. Le Crucifié–Ressuscité est présent à tous et à chacun. Et, comme serviteurs de l’Espérance qu’il nous donne, nous devons rendre compte de cette Espérance à ceux qui nous en demandent raison (cf. 1 Pi 3, 15). Je ne parlerai donc pas de la présence de Dieu, mais de celle du Christ Jésus, dans une approche spécifiquement chrétienne.

Parce que nous ne pouvons pas disserter gratuitement sur des situations aussi difficiles, j’ai choisi de partir de l’expérience de personnes. Les réflexions qui suivent sont avant tout des témoignages, nourris de l’Ecriture Sainte. Dans un premier temps, je donne donc la parole à des parents qui ont perdu un enfant. Dans mon ministère de prêtre, j’ai eu plusieurs occasions d’en accompagner. Ensuite, je donnerai quelques pistes sur la présence du Christ, à partir de mon expérience personnelle.

Dans cette approche spirituelle du suicide, je prends sciemment le risque d’être peut-être trop subjectif, pour ne pas prendre le risque d’être trop extérieur à la réalité vécue. Mais on acceptera que je parle ainsi, en connaissant un peu les choses de l'intérieur. Mon frère Marc, âgé d'une trentaine d'année, a mis fin a ses jours durant la semaine sainte 1998.

 


I. Témoignage de parents (écrit par eux)

Ces quelques lignes ne sont que des réflexions personnelles qui tiennent compte de nos histoires, de nos formations, des liens qui nous unissaient à notre fils qui a mis fin à ses jours à 28 ans. Nous avons aux environs de 70 ans. Nous cherchons à répondre à la question posée : quelles suggestions pour l’accompagnement de proches d’un suicidé ?

 

   HUMAINEMENT 

C'est incompréhensible – irrationnel –inexplicable – insoutenable – culpabilisant (envie de ne regarder qu'en arrière …)

     

    QUELQUES   PROPOSITIONS 

    a.        Vivre cette situation dans l'humilité:

       

      Accepter de ne pas comprendre – Regarder la situation en vérité, pour soi-même et pour les autres – Oui je ne l'ai pas assez aimé !

      b.        Contempler la Croix du Christ

      La mort de Jésus, humainement, est insoutenable… Pourquoi Dieu son Père a-t-il permis cela? Pourquoi des hommes ont-ils fait souffrir autant Jésus et ses proches? (sa mère – ses apôtres – ses disciples …)

      c.        La mort de Jésus pourtant n'est pas inutile:

                                             i.      Elle a prouvé à chacun de nous, avec quel amour Jésus aimait LIBREMENT son Père et chacun de ses bourreaux. Nous pouvons contempler (faire notre) le don total de Jésus, serviteur souffrant, et nous remémorer les côtés positifs (les gestes d'amour si petits soient-ils – tout le positif…) de notre défunt souffrant. Trois jours après sa mort, Dieu a redonné la vie à Jésus! Il est vivant ! Il est ressuscité ! Il en sera de même un jour de notre défunt. Dieu nous l'a promis.

                                           ii.      Jésus n'est pas venu pour les biens portants, mais par amour, pour les malades, les pécheurs. Il a donc accueilli notre défunt tel qu'il est, comme le Père a accueilli l'Enfant prodigue (Parabole de Jésus relaté dans St Luc 15 11-…) Notre fils après avoir fait toutes ses conneries, a été accueilli par son Père, ô combien! Le suicidé était sur terre créé à l'image de Dieu. Il est donc été accueilli par Dieu le Père, j'en suis sûr avec beaucoup de tendresse. Cette parabole de l'Enfant prodigue est de Jésus; il parle de son Père. Donc c'est vrai. Dieu accueille les plus grands paumés!

      d.        Tenter de situer où est notre défunt Y-a-t-il eu un repas de fête comme dans la parabole de l'enfant prodigue? Est-il au purgatoire? Là est la liberté de Dieu. Je pense qu'il faut néanmoins:

                                             i.     oser parler du Purgatoire (cf. Il est vivant n° 243 de nov. 2007) Je recommande entre autre l'excellent article du père Paul Préaux "La Bible en parle-t-elle?"pages 20 et 21 et en particulier sa conclusion: "Si on met ensemble le texte des Maccabées (2M12,39-45) et celui de saint Paul (1Cor 3, 11-15), on comprend que la purification d'outre-tombe est un perfectionnement de l'amour. Ce perfectionnement concerne tous ceux qui, au moment de leur mort, n'ont pas été trouvés dans un état de charité parfaite". Nous avons donc un devoir de charité de prier pour les âmes du Purgatoire et d'offrir de petits sacrifices ou des actes d'amour, des aumônes …(messe pour les défunts par exemple …)

                                           ii.     oser parler de la Louange. Arrivé auprès de Dieu, peut-être après ou pendant ce temps de purification, il loue inlassablement Dieu, avec tous les anges et tous les saints, avec ceux qui nous ont précédés, à côté de Marie.

                                         iii.     oser parler de son rôle d'Intercesseur : Avec Marie il peut intercéder pour chacune de nos intentions confiées. Pour ma part je suis persuadé que nos 2 enfants décédés (l'autre avait 18 mois, décédé accidentellement), intercèdent pour notre famille. J'ai en mémoire des signes précis. Bien sûr Dieu ne répond pas toujours immédiatement à ces intercessions et à nos prières. Il a un plan d'Amour pour chacun de nous. Mais avec du recul, je ressens sa présence aimante sur toute notre famille.

      e.        Il est bon de ne pas rester seul  

                                             i.     Demandons en toute humilité la prière de l'Eglise. Nous pouvons témoigner de cette puissance de la prière de nos familles, amis … Là encore que de témoignage montent dans nos esprits.

                                           ii.     Approchons-nous des sacrements Jésus ne nous a pas abandonné. Il nous a laissé son corps et son sang dans l'Eucharistie, il nous a envoyé son Esprit Saint, pour nous donner force et vigueur sur cette terre. Il nous a donné l'Eglise et tous ses sacrements. Humainement nous ne pouvons pas résister aux forces du malin. Dieu veut nous en délivrer. Il est notre libérateur !


      II. LA PRESENCE DU CHRIST JESUS

       

      Je voudrais, dans ces quelques lignes, exprimer ce que je comprends de la présence du Christ Jésus aux personnes qui mettent fin à leurs jours, ainsi qu’aux proches. Et je le fais à partir de mon expérience personnelle, avec ce que cela contient de relatif et de spécifique. Ces propos ne prétendent pas être universels, mais dire quelque chose de la vérité de l’expérience spirituelle. 

       

      1. LA MEME AGONIE

      Au soir de son agonie à Gethsémani, Jésus connaît une angoisse mortelle, qui l'étreint, jusqu'à la sueur des "grosses gouttes de sang" nous dit Luc (22,44). Quand on sait que le sang représente la vie, dans la mentalité juive, on comprend le sens de la note de Luc sur la sueur de gouttes de sang : Jésus est saisi par une angoisse qui lui ôte la vie.

      Matthieu et Marc rapportent les paroles prononcées par Jésus : "Mon âme est triste à en mourir" (Mt 26,38 ; Mc 14,34). Jésus est plongé dans une tristesse mortelle. Il ajoute, comme une supplication à ses amis, "demeurez ici et veillez avec moi". Dans l'épreuve qu'il traverse, la tentation est forte et le tentateur présent (cf. Lc 4, 13). Pour lutter contre la tentation, il fait appel à ses proches.

      Le 6 avril 1998, mes parents découvraient le corps de mon frère Marc, qui s'était donné la mort. Agé de 28 ans, il était mal depuis de nombreuses années et avait déjà fait plusieurs tentatives de suicide. Nous avons été terrassés. Mille pensées et mille questions tournaient dans nos esprits vides et arrêtés. Ce soir- là s'est imposée à moi la présence de Jésus en agonie à Gethsémani. Ce n'était pas le fruit d'une réflexion, ni d'une méditation biblique, ni d'une recherche spirituelle. C'était une présence qui s’imposait à  moi. Et cela a duré les 4 jours qui nous séparaient des funérailles célébrées le vendredi saint à 15h. Présence du Christ en agonie, comme en écho avec l'agonie de Marc, à laquelle nous communions en y plongeant si brusquement.

      A ce moment-là, je touchais du doigt la profondeur de l'angoisse de mon frère. Je ne l'avais pas mesurée jusque-là de la même façon, même si j'en pressentais certains aspects. Assommé par sa mort, j'étais comme plongé dans sa souffrance. C'était à la fois terrible et simple. Parce que j'étais aussi avec Jésus à Gethsémani. Ou plus exactement, parce que Jésus, dans son mystère de Gethsémani, était avec moi dans ce mystère de souffrance et d'angoisse mortelle. Il a connu la même épreuve que nous. La même que mon frère. "Car nous n'avons pas (en Jésus), un grand prêtre impuissant à compatir avec nos faiblesses, lui qui a été éprouvé en tout, d'une manière semblable, à l'exception du péché" (Heb 4,15).

      Jésus était pris d'une angoisse mortelle, comme Marc. Jésus était pris par une tristesse à en mourir, comme nous. Jésus était avec nous et nous étions avec lui.

      C'était à la fois écrasant et apaisant, car dans l'horreur de la situation il n'y avait rien d'autre à faire que de vivre cette heure avec Jésus, simplement.

      Jésus s'est livré. Il a accepté de vivre l'heure de l'épreuve : "Voici venir l'heure – et elle est venue- où vous serez dispersés chacun de votre côté et vous me laisserez seul. Mais je ne suis pas seul : le Père est avec moi. " (Jn 16,32).

      De la même façon, ce soir là j'étais seul, dans la chambre de Marc, à porter en moi ce drame et je n'étais pas seul : le Christ en agonie était avec moi.

       

      2. LE MEME HURLEMENT

      Lors de l’annonce du décès de mon frère, il y a eu des cris. Je me souviens avoir entendu une tante, proche de mon frère, crier sa détresse quand elle a appris la nouvelle des lèvres de ma mère. Plusieurs personnes, concernées de près, ont comme elle littéralement hurlé en apprenant la nouvelle. C’était l’expression de la profondeur de leur souffrance. Puis les cris ont laissé place au silence.

      Les évangiles de Matthieu et de Marc précisent que c’est dans un grand cri que Jésus, en croix,  dit « mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » et qu’il poussa à nouveau un grand cri en rendant l’esprit (Mt 27, 46.50 ; Mc 15, 34.37). On peut supposer que ce cri a laissé place au silence. C’est en silence que l’on a déposé le corps du Seigneur dans le tombeau. Les pietà me semblent entourées de ce silence qui fait suite au cri de souffrance. Sans doute est-ce un signe que le Christ a partagé la même douleur, si intense.

       

      3. LE MEME SILENCE

      La découverte du suicide d'un proche est, selon l'expression de Lytta Basset, une explosion nucléaire. Tout est anéanti. Tout est réduit au silence. Pendant des semaines, voire des années, les proches sont réduits au silence. Ceux qui ont connu les horreurs de la guerre, de la déportation, des tortures sont devenus muets. De telles souffrances sont indicibles. Le cardinal Lustiger ne pouvait pas parler de la mort de sa mère déportée à Auschwitz. Parce qu'il s'agissait simultanément du meurtre de sa mère et du génocide du peuple bien-aimé de Dieu, la situation était trop inhumaine pour être dite. La gravité de la souffrance était telle que les mots étaient impuissants, inadéquats. Tout l'être est pris par l'intensité de la souffrance. Quand un enfant met fin à ses jours, tout, dans le cœur des parents est anéanti. Rien ne peut se dire.

      Jésus lui-même a connu le silence de l'épreuve. Quand Hérode et Pilate l'interrogent durant sa passion, il ne répond rien (cf. Jn 19, 9 ; Lc 23,9 ; Mc 15,5 ; Mt 27, 12-14).  

      "Maltraité, il s'humiliait, il n'ouvrait pas la bouche. Comme l'agneau qui se laisse mener à l'abattoir, comme les tondeurs devant une brebis muette, il n'ouvrait pas la bouche" (Is 52, 6-7).

      Le silence de Jésus est le refus d'accuser ses accusateurs. C'est un silence de miséricorde. C'est ainsi qu'on le présente souvent. C'est vrai. Et c'est aussi le silence de l'humilié. Jésus vit, dans sa passion, l'humiliation de tous les humiliés. Lui, le Fils de Dieu, il s'humilie en devenant semblable aux hommes, et s'humilie plus encore en acceptant la mort, et la mort sur une croix". (cf. Ph 2, 7-8)

      Le suicide d'un enfant me semble être une très grande humiliation. Jésus a connu cette humiliation qui réduit au silence.

      Ce silence, c'est aussi, comme évoqué plus haut, le silence de l'indicible. La personne éprouvée perçoit sa souffrance comme incomparablement plus grande que celle des autres. Elle ne pourra donc rien en dire, qui puisse être compris. Elle se tait donc. La tradition chrétienne met sur les lèvres du Crucifié la parole des Lamentations : "Vous tous qui passez par le chemin, regardez et voyez s'il est une douleur pareille à la douleur qui me tourmente" (Lam 1,12). Dans la foi, nous savons que le Christ a traversé la souffrance la plus abyssale, et cela en raison de ses deux natures humaine et divine. Parce qu'il est homme capable d'éprouver la souffrance et parce qu'il est Dieu mesurant la profondeur du péché des hommes et ses conséquences, il expérimente la souffrance au degré le plus grand. Jésus, dans sa passion, communie donc à cette expérience des personnes éprouvées par un deuil violent : nul ne peut comprendre l'intensité de ma souffrance, incomparable.

       

      4. LE MEME SENTIMENT D'ETRE ABANDONNE

      Beaucoup de ceux qui ont mis fin à leurs jours étaient marqués par la fragilité. La mort violente d’un proche, si fragile, peut apparaître comme une injustice. Pourquoi le Maître de la vie ne les a-t-il pas protégés de l’irréparable ? Pourquoi n’a-t-il pas fait œuvre de guérison et de résurrection dans ces itinéraires d’enfants blessés ? Pourquoi a-t-il permis qu’une telle blessure soit infligée aux parents, aux époux et aux proches ? Pourquoi le Tout-Puissant n’est-il pas intervenu dans des vies marquées par l’impuissance ?

      Pourquoi Dieu nous as-tu ainsi abandonnés ?  C’est une des questions qui nous traversent.

      C’est aussi la question du Christ en croix : « mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mt 27, 46)

      Jésus Christ n’est pas étranger à notre question. Il a partagé notre sentiment d’être abandonné. Lui le Fils éternel du Père, il a épousé notre condition humaine jusque-là.


      5. Jésus EST le sauveur

      L’épitre aux Hébreux, au chapitre 2, explique ceci. Dieu a décidé de sauver un grand nombre de fils pour les conduire à la gloire. Pour cela, il a fait passer par la souffrance le chef qui devait les guider vers le salut. Le Christ, en participant aux souffrances des hommes peut ainsi les appeler ses frères. Il va jusqu’à partager leur condition humaine, faite de chair et de sang. Il put ainsi réduire à l’impuissance l’auteur de la mort, le diable, qui tenait les hommes en esclavages par la peur de la mort. Et l’auteur conclue : « Car du fait qu’il a lui-même souffert par l’épreuve, il est capable de venir en aide à ceux qui sont éprouvés. » (Héb 2, 18)

      Ce texte éclaire très précisément l’expérience spirituelle que nous avons décrite.

      Parce que le Christ Jésus a traversé les souffrances de nos frères et sœurs ayant mis fin à leurs jours, il peut les sauver de la mort éternelle.  J’ose aborder la question de la mort éternelle, car je me souviens de ce père de famille, rencontré peu de temps après le suicide de son fils, et qui me demandait : « où est-il maintenant ? » Cette question portait sur le sort éternel de son fils, suite à son acte, qualifié de grande gravité par la Révélation chrétienne.

      Après avoir affirmé que le suicide est un acte grave, qui est contraire à l’amour du Dieu vivant, et qui brise les liens de solidarité entre les personnes, le Catéchisme de l’Eglise Catholique précise que « des troubles psychiques graves, l'angoisse ou la crainte grave de l'épreuve, de la souffrance ou de la torture peuvent diminuer la responsabilité du suicidaire. » (2282) Il répond ensuite à la question du salut éternel : « On ne doit pas désespérer du salut éternel des personnes qui se sont donné la mort. Dieu peut leur ménager par les voies que lui seul connaît, l'occasion d'une salutaire repentance. L'Eglise prie pour les personnes qui ont attenté à leur vie. » (2283)

      Avec l’épitre aux Hébreux, nous pouvons affirmer que Jésus, parce qu’il a connu le désespoir qui peut habiter le coeur de l’homme, qu’il sait ainsi ce qu’il y a dans le cœur de l’homme, et qu’il est le Fils de Dieu, est capable de sauver celui qui, dans une conscience et une liberté souvent limitées, a attenté à sa vie.

      Et ce qui est vrai pour le salut des personnes ayant mis fin à leur jour, en vrai aussi pour leurs proches. Parce que le Christ Jésus a traversé la souffrance que nous connaissons, il peut nous venir en aide aux proches. Plus encore, il peut nous sauver. De quoi ? du désespoir et de la tristesse, qui sont toutes deux mortelles. Le signe du salut qui s’opère, progressivement, chez les proches, c’est la charité, c’est-à-dire la capacité de continuer à aimer.

       

      6. LA MEME CHARITE

      J’ai été frappé par l’attitude de plusieurs parents, chrétiens engagés, après le suicide de leur enfant. Dans un premier temps, je les ai vus plonger dans une grande tristesse, quasi omni-présente, écrasante. Et je les ai vus rester attentifs aux personnes de leur entourage, prêts à rendre service, décelant les besoin des uns et des autres, y répondant avec compassion. Ces parents auraient pu rester murés dans leur souffrance. Mais ils ont fait preuve d’ouverture de cœur et de charité envers leur entourage et plus largement, progressivement, à la mesure de leurs forces.

      Le Christ en croix a les bras ouverts. Il donne sa vie par amour pour d’autres. Il n’est pas replié sur sa propre souffrance. Dans sa passion, il aime. Et c’est ainsi qu’il nous sauve. Il nous donne la capacité d’aimer, dans la souffrance. « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » dit-il à ses disciples (Jn 15, 12). Ce commandement de l’amour est d’abord un don avant d’être un ordre. Dieu donne ce qu’il ordonne : à la suite de Jésus, nous pouvons aimer, quand nous souffrons. C’est là notre salut.

       

      7. La présence de Marie, mère du Crucifié

      Dans ces moments-là, je ne savais plus prier. Et pourtant je ne crois pas avoir quitté la présence de Jésus, ou plus exactement elle ne me quittait pas. Seulement, tout prêtre que je suis, il m’était difficile de trouver les mots de la prière.

      Dans ces moments-là, une prière reste facile à dire, celle qui se tourne vers Marie, pleine de grâce, lui demander de prier « maintenant et à l’heure de notre mort ». Car nous y sommes. Elle a communié, elle aussi, à nos souffrances face à la mort. Elle a été transpercée par un glaive de douleur, devant son fils mort, dans une si grande injustice. Elle sait, comme la Mère par excellence, ce que vivent des parents qui ont perdu un enfant. Si injustement. Et dans le vide de ces moments-là, on, peut passer des heures à ânonner le « je vous salue Marie », à égrener le chapelet, sans penser à rien, sans méditer aucun mystère, et en y trouver la paix du cœur.


      8. L'EXPERIENCE DE LA PRESENCE DU RESSUSCITE

      J’ai fait l’expérience de la présence du Christ Ressuscité, dans cette semaine de la passion après le suicide de mon frère. J’hésite toujours à en témoigner, par peur de ne pas être cru ou de ne pas être bien compris. L’analyse psychologique de mes propos, par un regard trop extérieur, pourrait laisser entendre qu’il s’agit d’un simple phénomène de « compensation ». Je ne le crois pas.  

      Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus expliquait à ses sœurs carmélites que la passion du Christ a cela de spécifique : Jésus fait simultanément l’expérience de l’abandon et de la vision béatifique. Il est abandonné, comme les pécheurs, loin de Dieu. Et il est le Fils du Père éternel, dans la joie de se savoir aimé éternellement de lui. Et sainte Thérèse d’ajouter : cela semble contradictoire, mais en réalité ce ne l’est pas, j’en ai fait l’expérience.

      Mon frère est mort un lundi saint. Ses funérailles ont eu lieu le vendredi saint, à 15h, heure à laquelle l’Eglise fait mémoire de la mort du Christ. Nous avions choisi de chanter le psaume 21 (22) qui commence par ces mots « mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Ces mots ont été prononcés par le Christ en croix. Jésus a dit cette phrase comme le rabbin prononce la première phrase d’un psaume, lors de la prière du shabbat dans la synagogue, pour que tous les fidèles récitent la totalité du psaume, connue par cœur. C’est donc tout le psaume 21 que le Christ ouvre sur la Croix, pour que ses auditeurs le disent en entier. Aussi, avons-nous chanté la totalité de ce psaume qui décrit la passion, lors de la célébration d’adieu de mon frère Marc. Au fur et à mesure du psaume, l’assemblée répétait certains versets : « Ne sois pas loin, l’angoisse est proche », « ô ma force, vite à mon aide ». Or, au verset 23 le psaume bascule. Il passe étonnamment du cri de détresse à la louange : « je proclame ton nom devant mes frères, je te loue en pleine assemblée … tu seras ma louange … ils loueront le Seigneur ceux qui le cherchent. » Lors de la célébration, l’assemblée a chanté le psaume jusqu’au bout, y compris ces versets de louange. C’était surprenant de louer Dieu dans de telles circonstances. J’étais touché de cela, mais je n’en ai compris le sens que plus tard.

      Le lendemain soir, samedi saint, je devais présider la vigile pascale, dans ma paroisse. Très éprouvé par la semaine vécue, j’ai insisté auprès de mes confrères qui me proposaient gentiment de me remplacer : je savais que c’était ma place. Durant cette vigile pascale, nous avons célébré, comme toute l’Eglise, la Résurrection du Christ. Avec audace, j’ai exhorté les fidèles à entrer dans la louange. Et nous avons vécu une très belle célébration de Pâques, festive et joyeuse. A la sortie, un paroissien m’a dit avoir senti en moi une liberté nouvelle, dans la foi. Et j’ai confirmé ses propos, sachant que c’était le fruit de la souffrance unie à celle du Christ.

      Parce que j'ai communié dans ma chair à la passion du Christ, il m'a été donné de communier de façon très particulière à sa résurrection, ainsi que l'apôtre Paul l'a expérimenté avant de l'écrire :

      "Nous sommes héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ, puisque nous souffrons avec lui pour être aussi glorifiés avec lui" (Rm 8,17).

      "Si nous sommes morts avec lui, avec lui nous vivrons" (2 Tim 2,11).


      La foi en la présence du Ressuscité m’a fait entrer dans une liberté nouvelle. Cette liberté nouvelle s’est traduite en un désir de louer Dieu, qui rejoignait l’expérience du psalmiste, chantée lors des funérailles de mon frère : après avoir « touché le fond » le croyant expérimente le salut. Et la liberté nouvelle qui m’a été donné s’est traduite par une force pour annoncer le mystère du Christ mort et ressuscité. Cela ne supprime ni les larmes, ni les questions, ni le besoin d’être soutenu par des amis, ni le besoin d’être accompagné (éventuellement  en psychothérapie). Les souffrances psychologiques ne contredisent pas la vérité de l’expérience spirituelle, possible depuis que le Crucifié-Ressuscité a dit : « je suis avec vous  tous les jours jusqu’à la fin du monde. » (Mt 28, 20).

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