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12 août 2013 1 12 /08 /août /2013 22:44

Un témoignage bouleversant vient d'être publié:

 

 

couv comme toi Fraysse

Présentation de l'ouvrage :

 

Jacques Fraysse était atteint du même locked-in-syndrome que Vincent Humbert, mort en 2003. Il lui a écrit en novembre 2002. Ecrivain et ami de la famille, René Pasquale évoque, avec la collaboration de la femme de Jacques, Eliane, cette vie de souffrance et cette envie d'en finir.

 

Ce matin de novembre 2002, quand Eliane arrive dans la chambre de son mari, à la résidence Mazenod, le doigt de Jacques se pointe avec insistance vers la radio : Vincent Humbert vient de demander au président de la République française " le droit de mourir ". Eliane s'approche du lit où son mari est allongé et lui glisse sa tablette sous la main. Lettre après lettre, elle décrypte : v.i.n.c.e.n.t.
h.u.m.b.e.r.t. Une aide-soignante passe la tête par la porte. Elle vient faire la toilette de Jacques. Mais celui-ci ne s'arrête pas, son index court sur les lettres. i.l. n.e. s.a.i.t. p.a.s. Tu veux qu'on lui écrive ? propose Eliane. o.u.i.

100 pages, 12 euros, éditions Quasar, juin 2013
Jacques Fraysse, tétraplégique, a écrit une lettre à Vincent Humbert, ce jeune homme qui était devenu lui aussi tétraplégique après un accident de la route et avait demandé à être euthanasié, ce qui fut fait en 2003.

Eliane-et-Jacques-Fraysse-photo-pr--f--r--e-dEliane.jpg

(photo : Jacques Fraysse et son épouse Eliane, avant l’accident qui l’a paralysé.)

 

 

 

« Cher Vincent,

 

Je suis comme toi, j’ai eu moi aussi le 24 septembre un accident qui a fait de moi ton frère de misère. Ce ne fut pas un accident de voiture mais un accident vasculaire cérébral.

 

Comme toi, petit frère, je suis tétraplégique, j’ai une trachéo, des gavages et des fausses routes et un corps qui appartient aux kinés, aux infirmières, aux aides-soignants. Mais j’ai un œil valide et j’y vois assez. Cela depuis le 24 septembre 1997. J’ai trois ans de misère de plus que toi, c’est pour cela que je t’appelle « petit frère ».

 

L’indiscrétion médiatique entourant ton SOS a ému la France et m’a replongé trois ans en arrière, quand je voulais comme toi quitter cette vie invivable. La première chose que je veux te dire, c’est que moi aussi j’ai fait une sévère déprime pendant deux, trois ans et que tous ceux qui sont passés par là ont fait la même découverte de l’horreur. Tous ont dit la même chose.

 

Il est normal qu’on traverse ce désert, qu’on hurle la perte de notre corps, de nos repères, de notre métier, de nos projets. Il est même indispensable de pouvoir hurler, bouche ouverte sur nos cris muets.

 

Ma femme n’entendait ma voix que lorsque mes sanglots dépassaient ma canule et faisaient vibrer mes cordes vocales. Tu connais ça aussi, petit frère, le chant des sanglots, c’est le nôtre. Deuil, tout est deuil : deuil de la voix comme du reste, et ce deuil est déjà une mort.

 

Comme il aurait été facile de partir, il suffisait de poser quelques instants son doigt sur la canule. Et je suppliais ma femme de le faire. Mais on ne peut pas demander ça à quelqu’un qui vous aime. Elle me répétait doucement : « Je t’ai aimé debout, je t’ai aimé assis, je t’aime couché, rien n’est changé« .

 

Ta mère pourrait dire les mêmes paroles : je t’ai aimé petit, je t’aime adulte. Je t’ai aimé valide, je t’aime encore handicapé, rien n’est changé. Or moi, je pensais que mon handicap avait anéanti mon affection comme mon corps. Eh bien ça, c’est faux! L’affect est indestructible, le cœur procède de l’amour et non du corps. Ç’a été une découverte.

J’ai aussi appris la différence entre la pitié et l’amitié. La pitié est un sentiment qui va avec le corps et l’amitié est un sentiment qui va avec le cœur, ou l’esprit si tu veux. J’ai fait ainsi le tri parmi mes amis.

 

Je peux aussi te dire que ton deuil, je veux dire ta déprime, va prendre fin. Il faut du temps, de la souffrance, de la patience, de la misère pour en sortir. En ce moment, tu ne le vois pas parce que tu le vis, et que ta souffrance te paraît définitive.

 

Avant que tu prennes une décision de vie ou de mort pour toi, je veux encore que tu saches ceci : j’ai découvert une vie différente, nouvelle et intéressante. Je dis bien: intéressante, qui fait de mes jours des temps vivants. Je vis. Tu vivras toi aussi.

 

Jusqu’au 24 septembre 1997, je vivais. Le 23, j’étais encore à mon travail ; le 24, j’étais dans le coma. On vit à notre époque à 85 % par notre corps et 15 % seulement avec notre esprit. Le corps a une telle importance qu’on ne réfléchit que juste ce qu’il faut. On fait de la musculation, de l’entraînement et du bronzage, du sport et du relax. Et l’esprit sert pour le travail et les loisirs. Et quand tout bascule, quand la voiture n’est plus qu’une carcasse et notre corps aussi, est-ce que notre esprit est aussi en pièces détachées ?

 

Ma femme me répétait sans cesse : « Tu as connu le corporel, les activités physiques. Il reste à découvrir le monde de l’esprit : l’intellectuel, le culturel, la musique, la lecture, la littérature, l’imaginaire, le virtuel, le relationnel« . C’est presque comme une nouvelle planète à découvrir, un nouveau monde, en tout cas pour moi.

 

Et on s’y est mis tous les deux : lecture, romans, radios, films, discussions… Et on a appris à communiquer comme toi par les lettres de l’alphabet. Je découvre tous les jours l’immense étendue de la vie spirituelle. Je vis. Mon corps ne me paraît plus si important, si indispensable et j’ai l’impression de rester un homme vrai et entier.

 

Après cinq ans de galère, petit frère, je vis. Plus de cauchemars et de vertiges vertigineux. Quand je me réveille, je ne dis plus : « Je commence une journée de handicapé », je dis : « Je commence ma journée ». Cinq ans de rééducation quotidienne ont redonné à ma main droite la possibilité de bidouiller ma radio-commande et ma télécommande. Je peux montrer les lettres sur mon ardoise, ce qui est plus rapide que par les signes de paupières.

 

Voilà ce que je voulais te dire : j’ai retrouvé une vie différente mais riche en amitiés, en imaginaire, en affection, en écoute des autres. La vie de l’esprit existe, qui fait de nous des hommes vrais et même heureux. Crois-moi, quand la déprime sera finie, toi aussi tu revivras.

 

Salut, petit frère. »

 

Jacques

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